lundi 26 avril 2010

Tout philosophe a deux philosophies


Y a-t-il une philosophie ou bien autant de philosophies que de philosophes ? Sur l’unicité de la philosophie plane le spectre de la pensée unique avec ses censeurs qui peuvent aussi bien accréditer ou exclure les philosophes selon qu’ils sont dans la ligne ou au delà. Sous la pluralité des philosophies grouille la divergence des opinions avec son relativisme qui, en accordant à toutes les pensées la même valeur, la retire absolument à toute la philosophie.

Henri Bergson prend position sur la question en donnant une sorte de repère pour que l’on s’y retrouve. Il écrit à Léon Brunschvicg, en 1927, que « tout philosophe a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza. » Ainsi, il y aurait un centre de gravité du monde philosophique, une étoile polaire du ciel des philosophes, et ce point central a un nom : Spinoza. Le spinozisme comme facteur d’unification de la philosophie malgré toutes les différences et les divergences des philosophes particuliers.

Prenons Bergson au mot et tirons des conclusions : par exemple, « Wittgenstein a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza. » Wittgenstein est wittgensteinien, ce qui est normal, mais aussi spinoziste, ce qui est pratique pour notre problème de savoir si la philosophie peut prétendre à une quelconque universalité. Mais aussi : « Bergson a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza. » Bergson, bergsonien et spinoziste. De même : « Leibniz a deux philosophies, la sienne et celle de Spinoza. »

Pour la suite, tenez-vous bien, « Platon a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza. » Et bien sûr : « Spinoza a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza. » Platon serait spinoziste même s’il a vécu 2000 ans avant Spinoza. Et Spinoza serait alors le seul philosophe à n’avoir qu’une seule philosophie. Est-ce à dire que le spinozisme est la « vraie » philosophie, par delà l’espace et le temps, et la « véracité » de la philosophie des autres se mesure au degré d’éloignement d’avec celle de Spinoza ; les autres philosophes demeurant des philosophes dans la mesure où, justement, ils adoptent la philosophie de Spinoza ?

Méfions-nous, je pense, du retour masqué du spectre de la pensée unique. Ne faisons pas de Spinoza, un pape de la philosophie, et de la philosophie un catholicisme, même réduit au spinozisme ! D’ailleurs, Bergson s’en défend quand il écrit à Jankélévitch, en 1928 : « Je crois vous avoir dit que je me sens toujours un peu chez moi quand je relis l’Ethique, et que j’en éprouve chaque fois de la surprise, la plupart de mes thèses paraissant être (et étant effectivement, dans ma pensée) à l’opposé du Spinozisme. »

Cependant, afin de ne pas sombrer dans le relativisme qui dit que les doctrines de tous les philosophe se valent, il faut retenir ce mot de Bergson : se sentir chez soi en lisant l’Ethique. Bergson détaille cette affirmation, quand il s’adresse à Brunschvicg : « Aristote avait bien dit que « nous ne devons pas nous attacher, hommes, à ce qui est humain, mortels, à ce qui meurt ; nous devons autant que cela est donné à l’homme, vivre en immortel ». Mais il était réservé à Spinoza de montrer que la connaissance intérieure de la vérité coïncide avec l’acte intemporel par lequel la vérité se pose, et de nous faire « sentir et éprouver notre éternité ». C’est pourquoi [j’ai beau m’être engagé], par [mes] réflexions personnelles, dans des voies différentes de celle que Spinoza a suivi : [je n’en demeure pas moins spinoziste], dans une certaine mesure, chaque fois que [je relis] l’Ethique, parce que [j’ai] l’impression nette que telle est exactement l’attitude où la philosophie doit se placer, telle est l’atmosphère où réellement le philosophe respire. En ce sens, on pourrait dire que tout philosophe a deux philosophies : etc. » L’Ethique, la maison des philosophes ; le spinozisme, l’atmosphère de la philosophie. Ce qui ne veut pas dire que les thèses de Spinoza sont aussi celles des autres philosophes.

4 commentaires:

  1. Désolé, mais j'ai très vite lâché mon attention en lisant ton texte.
    Je n'ai pas assez de culture philosophique, je vais aller soigner mes poules: elles sont pleines d'Ethiques.

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  2. Je suis plutôt d'avis que tous les philosophes ont apporté leur contribution au grand édifice de la philosophie ; chacun à sa façon. Mais aucun est incontournable, il suffit que le lecteur, à partir de ses lectures puisse se construire lui-même son propre chemin. Ce qui reste finalement assez difficile et on a toujours tendance à se raccrocher à un ou deux philosophes. Mais qui aujourd'hui est capable de se forger sa propre philosophie ???? Y a-t-il vraiment de nouveaux philosophes ?????

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  3. en voilà une bonne question:
    Car les philosophes d'aujourd'hui bien que dans l'air du temps me semble bien loin des grands de la philosophie depuis 2000 ans.
    Mais je ne les connais pas tous, je ne connais que ceux qui sont de bons communicants à qui les médias servent la soupe... Mais ceux ci sont ils réellement des philosophes (j'ai un grand doute)

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  4. C'est pourquoi je suis à la recherche de critères afin de pouvoir dire : "là, on a un philosophe" ou bien "là, on a un beau parleur".

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