mercredi 9 juin 2010

Les Deschiens sortent en boite


« Putain de salle des fêtes de merde ! » C’est le verdict lapidaire – et la seule réplique – du personnage musicien du dernier spectacle de Deschamps et Makaïef : il fallait un personnage muet le reste du temps pour nous dire l’essentiel à retenir de ce lieu.

Oui, cette salle des fêtes connaît la crise : son nom, « le Macumba », la ringardise pas mal, et bien que d’incessants et bruyants travaux doivent lui redonner sa jeunesse, on dirait que rien n’empêchera le bateau de couler.

Mais le pire, c’est la patronne, Madame Cravotta : tyrannique, sadique, incompétente, ignoble, bref, elle a tout ce qui fait qu’on hait ceux qui ont une once de pouvoir, car elle en abuse ; elle terrifie son monde comme son improbable pitbull « Kiki » enchaîné derrière le bar pour surveiller les cubis de vin rouge réservés à la sangria de la soirée prestige.

Et pourtant, bien que cette salle des fêtes semble condamnée à mettre la clé sous la porte, on peut encore y succomber à la fièvre du samedi soir. Et tous les épisodes de la misère du quotidien, cruels et pathétiques, (« minou, il est où le minou ? »), sont scandés par des moments de grâce pure, chansons et danses, issus du répertoire des variétés internationales.

Tout est passé en revue : rock, hard rock, disco, biguine, reggæ, music pop, etc. Et quand on voit revenir le musicien (le muet du début) et qu’il prend sa guitare, on sait alors que les trois prochaines minutes vont être jubilatoires et complètement jouissives, et qu’elles nous feront oublier les moment pénibles – bien qu’horriblement horripilants – des tracas du Macumba.

Par le plus grand des hasards, je suis également en train de lire Le théâtre et son double d’Antonin Artaud, et il y a quelques échos qui résonnent entre le manifeste du fou et la création des héritiers de Jacques Tati. C’est en tous cas l’abolition du théâtre en tant que continuité dialoguée avec développement d’intrigues psychologiques.

Certes, les Deschiens ont des échanges verbaux, mais autant dire qu’il s’agit de créer un fond sonore : il ne s’agit pas de communiquer un message. Les meilleurs moments du spectacle sont ceux où les personnages se parlent mais où l’on ne comprend rien à ce qu’ils disent.

C’est principalement le cas lors des scénettes en langue étrangère (et orientale notamment) : en arabe pour le chantier, en japonais pour les arts martiaux, en particulier. On ne comprend rien aux paroles, mais on comprend tout à la situation : un rappel efficace que les mots articulés n’ont pas le monopole du langage et une bouffée d’air frais dans le théâtre à l’occidental.